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Scènes vues, choses entendues (2) Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Ecrit par J.O. Harrus   
25-02-2007

Un jeudi après-midi ordinaire au Tribunal d’Instance de Boissy-Saint-Léger, sans doute le plus encombré de la région parisienne (avec celui de Bobigny). Comble de malchance, les affaires y sont plaidées dans l’ordre d’arrivée des avocats, c’est-à-dire que les défauts, qui ne nécessitent ordinairement que quelques mots d’explication, peuvent être appelés après plusieurs heures d’attente, pour peu que l’avocat ne se soit pas présenté une demi-heure (au moins...) avant l’ouverture des débats pour faire sortir son dossier (et aucun magistrat n’a apparemment l’autorité suffisante pour bousculer un ordre davantage imposé par des huissiers audienciers à cheval sur les principes qu’ils ont eux-mêmes édictés que par le souci d’une bonne administration de la justice). Bref, un long après-midi d’hiver s’annonce dans la capitale des orchidées, même si la correction des partiels de Droit de l’IUT de Sceaux doit me permettre de le passer utilement.

L’audience a commencé depuis deux bonnes heures lorsqu’une affaire d’expulsion est appelée à la barre. L’avocat du propriétaire se lève comme un ressort, soulagé de pouvoir enfin expédier son dossier, puisque personne ne s’est manifesté auprès de lui comme du tribunal. Mais voilà que la locataire s’avance à l’appel de son nom et demande le renvoi, car dépourvue de tout revenu, elle vient de déposer une demande d’aide juridictionnelle auprès du bureau de Créteil et souhaite être représentée par un avocat.

Furibard, l’avocat refuse tout report et exige de plaider, indiquant qu’il est hors de question qu’il ait attendu deux heures pour un simple renvoi.

Et que croyez-vous que le magistrat fit ? Eh bien il retint l’affaire !

Pour méconnaître à ce point la loi, la jurisprudence et le principe du contradictoire, le juge d’instance a considéré que la demande d’aide juridictionnelle était tardive, car déposée quelques jours avant l’audience (ce qui était vrai, mais ne changeait rien au problème).

Un jugement d’expulsion va donc être rendu à l’encontre d’un défendeur qui n’aura pas été en mesure d’articuler trois mots, ni de s’expliquer sur le quantum de la créance locative revendiquée ou sur d’éventuels délais de règlement, voire sur une demande de suspension de la clause résolutoire (que le juge peut subordonner au paiement des loyers courants et d’une partie de l’arriéré locatif ; et c’est un réflexe en cette matière : il faut coûte que coûte « neutraliser » la résolution judiciaire du contrat menacé par l’absence de règlement, dans les deux mois de sa délivrance, des causes du commandement de payer visant la clause résolutoire).

Ironie du calendrier : quelques jours plus tôt, le 18 janvier 2007, la Cour de Cassation avait vertement sanctionné une Cour d’Appel (la 18ème Chambre de Paris, pour ne pas la citer) qui avait passé outre une demande d’aide juridictionnelle, en des termes peu amènes : « En statuant sur l’appel dont elle était saisie, alors que le demandeur avait sollicité, avant la date de l’audience, l’attribution de l’aide juridictionnelle, la cour d’appel a violé les articles 2 et 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 2001 » relative à l’aide juridictionnelle.

Dans son commentaire paru au Dalloz 2007 (page 380), Madame Valérie Avena-Robardet rappelle fort justement que « lorsque l’aide juridictionnelle est sollicitée avant la date d’audience, (le juge) doit renvoyer l’affaire dans l’attente de la décision du bureau d’aide juridictionnelle (voir déjà Cass. Civ. 2ème, 13 décembre 2005, Bull. civ. II, n° 319). En aucun cas, il ne doit statuer sur le litige avant que le bureau ait rendu sa décision. » Le commentateur souligne enfin « qu’il appartient aux juridictions de faire respecter le droit à l’assistance des avocats. Au besoin, elles doivent même le faire d’office et transmettre elles-mêmes la demande au bureau d’aide juridictionnelle établies auprès d’elles ».

Toutes choses que le juge d’instance de Boissy-Saint-Léger a évidemment méconnues, sans doute pour complaire à un avocat pressé (mais la loi est, comme chacun sait, au-dessus de toute contrainte de calendrier...).

Après ce haut fait de justice, je replongeai le nez dans mes copies. « Quels sont les principes directeurs du procès civil ? » était-il demandé aux étudiants de 1ère année de GEA. J’ai eu, je l’avoue, tendance à surnoter tous ceux qui, en plus de mentionner la publicité des débats et le double degré de juridiction, avaient souligné la nécessité de respecter le principe du contradictoire.

Dernière mise à jour : ( 28-02-2007 )
 

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