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Droit et cinéma Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Ecrit par J.O. Harrus   
03-01-2006
Du testament au profit d'un enfant à naître selon François Ozon

Vu dans « Le temps qui reste » de François Ozon, une scène de genre qui appelle certains commentaires :

Romain, jeune photographe de mode, est atteint d’un cancer en phase terminale. Il accepte avant sa mort de « rendre service » à une serveuse rencontrée dans un restoroute, dont le mari garagiste est stérile, et de lui faire un enfant.

La scène nous montre Romain (Melvil Poupaud) et le couple dans le bureau d’un notaire, qui reçoit le testament public du jeune homme, lequel déclare instituer l’enfant à naître légataire universel de l’intégralité de son patrimoine, étant entendu que le testateur va décéder avant la naissance de son futur légataire (ce ne sont pas tout à fait les termes employés à l’écran…).

Interrogeons-nous tout d’abord sur la possibilité pour un enfant à naître d’être institué légataire d’une succession ouverte avant sa naissance.

Un principe prétorien, consacré en particulier par un arrêt de la Cour de Cassation (1ère Chambre civile) du 10 décembre 1985 (Bulletin 1985 I n° 339 p. 305), énonce que l’enfant conçu est réputé né chaque fois qu’il y va de son intérêt. Cette solution, dégagée pour les contrats d’assurance-vie, s’applique parfaitement aux dispositions testamentaires, puisqu’il est évidemment de l’intérêt de l’enfant à naître d’être gratifié d’un legs particulier ou universel issu d’une succession ouverte avant sa naissance. La possibilité d’un tel acte est donc admise.

Romain, père biologique de l’enfant, est cependant un étranger pour le futur légataire. Du reste, s’agissant de l’enfant d’un couple marié, l’article 312 alinéa 1er du Code civil institue une présomption légale simple ainsi rédigée : « L’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari ». L’enfant à naître aura donc pour père légitime le mari de la mère. Il est vrai que l’alinéa 2 ouvre au profit du mari la possibilité de désavouer l’enfant en justice, s’il justifie de faits propres à démontrer qu’il ne peut pas en être le père (compte tenu, par exemple, de son éloignement pendant la période légale de conception, aboutissant à une naissance entre le 180ème et le 300ème jour suivant – cf. articles 314 et 315 du Code civil). Mais l’on voit mal le garagiste désavouer un enfant qu’il a tant attendu (et de toutes les façons, l’établissement d’un lien de filiation naturelle, même posthume, n’est pas possible quand l’enfant a une filiation légitime établie par la possession d’état – cf. article 334-9 du Code civil).

Romain, célibataire sans enfant, peut-il ensuite disposer de l’intégralité de son patrimoine à titre de mort ? Hélas non, car les parents de Romain sont réservataires dans la succession de leur fils prédécédé, en vertu de l’article 914 du Code civil, qui énonce que « les libéralités, par actes entre vifs ou par testament, ne pourront excéder la moitié des biens, si, à défaut d’enfant, le défunt laisse un ou plusieurs ascendants dans chacune des lignes, paternelle et maternelle, et les trois quarts s’il ne laisse d’ascendants que dans une ligne ».

Romain laissant à son décès ses deux parents (et même une grand-mère, l’incroyable Jeanne Moreau…), la quotité disponible dont il dispose est de un demi. Romain ne peut donc transmettre comme il l'entend que la moitié de son patrimoine.

Enfin, la présence du couple dans le bureau du notaire se justifiait-elle (d’autant plus qu’on a l’impression qu’ils sont invités à signer l’acte authentique) ?

Du point de vue du Code civil, le testament public (que l’on oppose au testament mystique, le papier contenant les dernières volontés du testateur devant en ce cas être scellé hors la présence du notaire qui le reçoit et le conserve) est reçu solennellement par le notaire en présence de deux témoins (article 971).

Dès lors, si l’on considère que les époux se voient reconnaître un tel rôle, leur présence se conçoit autant scénaristiquement que juridiquement, même s’il eût été possible de faire appel à deux autres témoins.

En définitive, la scène commentée ne heurte pas fondamentalement le sentiment du juriste.

L’on avait vu pire (si l’on peut dire) dans le dernier opus du même réalisateur (« 5 X 2 »), qui nous montre un couple en train de divorcer signer un « procès-verbal de divorce » (sic) dans le bureau d’un juge aux affaires familiales. Or, s’agissant d’une décision de justice, le jugement de divorce, même rendu sur consentement mutuel des époux, ne nécessite que les signatures du juge et du greffier. Mais l’on s’en voudrait de reprocher au réalisateur de sacrifier la vérité judiciaire aux nécessités de sa mise en scène.

Dernière mise à jour : ( 16-01-2006 )
 

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